Il s’assied en face de moi.
Regard droit, posture maîtrisée. Un homme de cinquantaine d’années. Fier, investi, profondément attaché à ses fils.

« J’aimerais être plus proche de mes fils… mais je sens une distance. Et je ne sais pas quoi faire. »

Ils se voient souvent, pourtant.
Ils déjeunent ensemble chaque semaine. Ils se racontent des choses. Mais pas tout.
Il sent que quelque chose s’est refermé. Il ne sait pas quand, ni comment.
Il voit bien que ses fils ne partagent plus ce qu’ils pensent vraiment, ou ce qu’ils vivent en profondeur.

Plus il sent qu’on le met à distance plus il cherche à savoir ( je veux juste savoir si ça va, me précise-t-il)

Il se sent intrusif, et impuissant à établir une connexion.

Il me parle de leurs projets, de leurs choix, de leurs erreurs aussi — du moins ce qu’il perçoit comme tels.

Et surtout, il me parle de ce qu’il fait : il conseille. Il alerte. Il donne son avis. 

« Partir en vacances là-bas ? Mais ce pays n’est pas sûr… »
« Une week-end à dix personnes, c’est trop, ça va mal finir… »
« Je pense que ce boulot n’a pas beaucoup d’avenir… »

« Tu devrais te méfier, tu fais trop vite confiance… »

Mais au fond, ce ne sont pas des conseils.
Ce sont des manifestations de peur.
La peur qu’ils se trompent. Qu’ils se perdent. Qu’ils souffrent.
Et surtout… qu’ils s’éloignent de ce qui semble être, à ses yeux, le bon chemin.

 Ce bon chemin n’est pas toujours celui de l’enfant

Et souvent, plus un parent cherche à convaincre… plus l’enfant prend de la distance.

Car sans s’en rendre compte, le parent empiète sur un espace qui ne lui appartient plus : celui des décisions, des erreurs, de l’expérience propre de l’enfant devenu adulte.

Ce n’est pas de la malveillance.
C’est un excès d’amour… traversé de peur.
Mais cet excès fait fuir.

 Une alternative : changer de posture

Alors je lui propose autre chose. Un geste simple, mais puissant.

Ne plus dire (plus jamais) :

  • « Tu devrais… »
  • « Fais attention à… »
  • « Je ne comprends pas ton choix… »

Mais poser des questions ouvertes, respectueuses, curieuses :

  • « Et toi, qu’est-ce que tu as l’intention de faire ? »
  • « Comment vas-tu t’y prendre ? »
  • « Qu’est-ce qui fait que tu as choisi cette option ? »

Cette dernière formulation – “Qu’est-ce qui fait que…” – a un pouvoir immense.
Elle remplace le conseil par la curiosité.
Elle ouvre un espace de confiance.
Elle dit à l’enfant : « Je suis intéressé par ta façon de voir, même si je ne la comprends pas encore. »

Et c’est cela que cherchent les enfants devenus adultes.
Pas des leçons.
Pas une validation.
Mais une présence. Un regard bienveillant. Une confiance silencieuse.

 Le véritable enjeu : accompagner, pas contrôler

Le véritable enjeu pour un parent, ce n’est pas de faire adopter le bon choix.
Ni d’éviter l’échec. Ni d’empêcher l’enfant de vivre sa vie en essayant de le maintenir sous cloche.

C’est d’accompagner.
Respecter les choix de son enfant, même quand ils nous échappent.
Respecter son rythme, sa différence, son droit de se tromper.

C’est surtout le laisser vivre à sa façon, en se disant que, s’il devait tomber, je serai là pour l’aider à se relever.
Avec mon expérience, mon amour et ma confiance.
C’est ça, le rôle du parent.

Et c’est là que l’expérience du parent prend tout son sens.
Pas pour faire la leçon.
Mais pour incarner la confiance.

Car nous, parents, avons traversé des tempêtes. Nous avons fait des erreurs, douté, chuté… et nous nous en sommes sortis.
Cette traversée, ce recul, cette tolérance acquise avec l’âge — voilà ce que nous avons à offrir.
Non pas comme une boussole rigide.
Mais comme un phare tranquille, qui éclaire sans éblouir.

Alors une vraie question se pose :

Et si aimer, profondément, c’était apprendre à ne plus interférer… mais à faire confiance en silence, avec la sagesse de ceux qui savent que la vie finit toujours par nous apprendre ?

À méditer.